Ainsi le gouvernement a franchi le Rubicon en utilisant, hier,
l’arme dévastatrice du 49.3, qui pourrait bien lui exploser dans les
mains. Soyons clairs : si Edouard Philippe se trouve en première ligne,
c’est bien Emmanuel Macron qui décide des manœuvres, en ayant présidé le
Conseil des ministres extraordinaire du samedi 29 février, duquel est
issu le choix du 49.3, qui permet de faire adopter un projet de loi sans
vote de l’Assemblée nationale.
Notre système de retraites par
cotisation et socialisation des richesses produites par le travail,
référence depuis 75 ans de la protection des seniors dans le monde,
vient donc d’être mis à sac en un temps record contre l’avis des
Français, des organisations syndicales des salariés et de toutes les
oppositions. Les soldats d’Emmanuel Macron, qui a lui-même concédé être
entré à l’Elysée « par effraction », n’ont aucun argument démocratique
pour justifier un tel saccage, qui reviendra – dans un pays qui n’a
jamais produit autant de richesses – à repousser l’âge de départ et
baisser les pensions, deux éléments auxquels le candidat d’En Marche
avait juré de ne pas toucher.
Mais la bataille des retraites est
loin d’être terminée. Si le Président, son gouvernement et sa majorité
de godillots croient arriver au bout de leur peine, ils se fourrent le
doigt dans l’œil.
Premièrement, le combat parlementaire se
poursuivra, car M. Macron a eu la mauvaise idée de séparer en deux lois
sa réforme. Une loi organique, concernant le financement et qui
intégrera le calcul de l’âge d’équilibre, du prix et de la valeur du
point, sera examinée par l’Assemblée nationale dès la semaine du lundi 2
mars. Or, l’article 49.3 de la Constitution ne peut être employé qu’une
fois par session parlementaire, peu ou prou l’année scolaire. Si
l’opposition parlementaire multiplie à nouveau les amendements,
l’enlisement du débat à l’Assemblée permet au débat dans le pays de se
poursuivre, et de gagner un temps précieux pour l’essentiel : le combat
social.
Le mouvement social, dont les travailleurs en grève
forment la pointe tranchante, va monter en puissance dans les heures et
les jours à venir, après avoir été tant banalisés par les médias
bourgeois. Hier, à l’annonce de l’utilisation du 49.3, des
rassemblements spontanés ont réuni des milliers de manifestants à
travers la France. D’ores et déjà des Assemblées Générales de salariés,
réunis dans les entreprises ou les Bourses du Travail, ont décidé la
grève dès demain matin lundi. Une réaction en chaîne peut aboutir, si
les mobilisés s’adressent aux mobilisables, par le rassemblement massif
des Français autour de moyens d’action renouvelés et graduels, au
blocage du pays. C’est là la seule voie vers la victoire, un chemin de
crête qui pousserait la grande bourgeoisie à ordonner à Macron de
retirer sa réforme, dont le bénéfice financier serait moindre que les
pertes colossales dues à l’arrêt de la production et la circulation de
marchandises dans l’hexagone et les territoires d’Outre-mer.
Enfin, le 49.3 restera comme une marque indélébile du quinquennat de M.
Macron, dont l’impopularité l’a pratiquement disqualifié de la victoire
en 2022. Il ne s’agit pas de jouer à Nostradamus, c’est pourquoi la
bataille populaire, aujourd’hui, sur le terrain est de loin la plus
importante. Mais la question de la proposition politique, qui a déjà
pris forme avec l’exigence d’un référendum sur la réforme des retraites,
devra se poser comme débouché logique à la séquence en cours. Laquelle a
placé Philippe Martinez comme opposant numéro un à Emmanuel Macron,
chose bienvenue pour faire taire le faux duel et vrai duo entre l’actuel
Président et Le Pen.
C’est bien dans le temps présent que nous
devons agir, sans calculs d’apothicaire. Partout, la question de la
grève doit se poser, tout comme celle du blocage des axes de ressources
et de marchandises. Et si la victoire n’est pas immédiate, le mouvement
de mobilisation lui-même aura transformé le quotidien de milliers, voire
de millions de travailleurs, en formation, actifs ou retraités, qui
auront fait entendre leurs voix, fraternisé et réveillé le destin
populaire de la France.