Confiscatoire

« Qu’ont-ils fait de leur ISF ? » C’est la question que se pose le magazine Challenges dans son numéro spécial de l’été contenant son classement des 500 plus grandes fortunes françaises. Les plus riches contribuables ont économisé 3 milliards d’euros grâce à la suppression de l’ISF, adoptée en 2017 à toute vitesse par la majorité macroniste.

Au sein d’un dossier intitulé « riches, donc suspects », jonché de témoignages de grands patrons se lamentant du climat anti-milliardaires, Challenges consacre un article aux gains réalisés par les plus gros patrimoines. Le magazine ultra-libéral donne courageusement la parole à des économistes ultra-libéraux, ainsi qu’à des très fortunés ayant réinvesti dans leur propre boîte ou à des expatriés ayant, tout aussi courageusement, choisi de revenir en France.

« J’ai déjà payé l’ISF, j’en acceptais le principe mais pas le taux, devenu confiscatoire » certifie Jérôme Lecat, « à la tête de sa troisième start-up », qui reviendra à Paris après 13 ans en Californie. A la tête d’un capital de 3,3 milliards d’euros, Mohed Altrad est l’un des seuls à révéler ses chiffres : il payait 100.000 euros d’ISF, « car ses parts dans l’entreprise étaient exonérées en tant que bien professionnel ». Lui ne paye plus que 3.500 euros d’impôt sur la fortune immobilière, et a « réinvesti dans son entreprise ou donné à des bonnes causes » le gain de 96.500 euros soit 0,003% de sa fortune. « Les riches particuliers ont alloué 500 millions de plus qu’en 2017 aux investissements vers les start-up et PME » de leurs amis entrepreneurs, plaide Dominique Gaillard, président de l’organisme France Invest, mais « la fin de la déductibilité des investissements dans les jeunes PME innovantes, notamment via des fonds dans l’innovation, a divisé par deux la collecte (-581 millions) » dit aussi l’article.

François Molat du Jourdin, secrétaire général de l’Association française du family office, se réjouit : « La fin de l’ISF a fait sauter un verrou psychologique qui figeait le capital. L’argent peut à nouveau circuler. » Même son de cloche chez Jean-Marc Dumontet, propriétaire de sept théâtres parisiens et « éminence grise d’Emmanuel Macron » : « Cet impôt était spécialement nocif dans notre petit pays, cerné de voisins plus fiscalement cléments où peuvent se réfugier les riches […] l’Hexagone n’offre plus ce cliché d’un pays hostile à la réussite et à l’argent. » Interrogés par deux sondages sur l’utilisation des sommes « libérées », les ex-redevables à l’ISF ont répondu « qu’ils en ont d’abord profité pour consommer plus (un beau voyage, une œuvre d’art…) ». Ils ne subissent plus un impôt « nocif » et ne sont plus obligés de « se réfugier ». « L’argent peut à nouveau circuler. »

Quant à Muriel Pénicaud, ex-DRH de Danone, qui payait la somme « confiscatoire » de 50.000 euros, soit moins de 0,7% de son patrimoine de 7,5 millions d’euros, elle a décidé de « verser le double de son économie d’ISF dans un fonds finançant des entreprises sociales ». Le fonds en question, Phitrust, finance des entreprises qui ont des idées innovantes comme loger des gens dans des containers (Homeblock) ou offrir aux SDF la possibilité de déposer leurs bagages dans un casier avant d’aller faire la manche (Mains Libres). La ministre du Travail d’Emmanuel Macron n’est jamais à court de bonnes idées.

Affranchis

« Les riches n’ont pas besoin de Président, ils s’en sortent très bien tout seuls. » Ces mots sont ceux d’Emmanuel Macron, qui se défendait ainsi de ne pas être le « Président des riches ». Que signifie cette phrase ? En somme, que le Président de la République est une figure d’autorité dont les Français les plus riches peuvent s’affranchir. Comme ils s’affranchissent des règles les plus élémentaires, à commencer par le devoir de payer des impôts pour financer la collectivité.

Il faut dire que l’État n’a pas la même signification selon qu’on soit né avec une cuillère en argent ou en plastique dans la bouche. Prenez l’agent de police : son uniforme représente le pouvoir pour la plupart des citoyens, mais il est synonyme de serviteur aux yeux de la classe capitaliste. C’est ainsi : l’État bourgeois est au service de la bourgeoisie.

Revenons aux impôts, en particulier ceux qui portent sur le patrimoine. Les inégalités économiques sont béantes en ce qui concerne les revenus, mais elles le sont bien davantage au sujet de la richesse accumulée. Et elles se renforcent encore avec l’action d’Emmanuel Macron, dont l’une des toutes premières mesures à son arrivée à l’Élysée fut de supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). A l’été 2017, pour faire passer la pilule, la majorité parlementaire vote trois taxes : sur les voitures de luxe, les yachts et les biens précieux.

La première, s’appliquant à 3.387 voitures sportives, a rapporté 15 millions d’euros depuis sa mise en place il y a deux ans. Non seulement c’est une goutte d’eau par rapport aux 3 milliards d’argent public perdus avec la suppression de l’ISF, mais c’est deux fois moins que ce qui avait été annoncé.

La seconde, à laquelle sont assujettis les yachts de plus de 30 mètres de long sous pavillon tricolore, ne concerne que sept propriétaires. Depuis 2017, seuls deux s’en sont acquittés ; quant aux cinq autres, ils refusent tout simplement de payer. Le ministère des Finances a-t-il prévu des mesures de rétorsion pour ceux qui pratiquent ouvertement la fraude fiscale ? Non, pensez donc ! C’est ainsi que, sur les 10 millions initiaux, seuls 86.700 euros ont été perçus.

Enfin, la taxe sur les biens précieux n’a tout simplement jamais été récupérée. Les propriétaires de lingots d’or et de volumineuses pierres précieuses peuvent dormir tranquilles. De toutes façons, combien auraient respecté les services fiscaux si ces derniers leur avaient demandé, gentiment, on ne brusque pas les riches, de débourser la taxe prévue ? La bourgeoisie n’est jamais inquiétée par l’État, même quand elle se place en situation d’illégalité face à des lois qui pourtant la favorisent. Les règles collectives de notre société sont douces avec les puissants, mais ils s’en affranchissent quand même.

Magique

« Il n’y a pas d’argent magique » lançait, le 5 avril 2018, Emmanuel Macron à une soignante du CHU de Rouen, qui l’interpellait sur la baisse du budget de son établissement.

L’argent ne fait pas le bonheur, dit-on, mais sans argent, on ne vit plus. Avec la diminution organisée et criminelle des crédits alloués à la Sécurité sociale, donc aux hôpitaux, les centres de soins agonisent et c’est notre santé, au sens littéral, qui en prend un coup.

Notre société vit sous le règne de l’argent. Il suscite toutes les convoitises, il soumet la nature et les êtres humains, il fait naître des marchés et détient le pouvoir de vie ou de mort sur l’économie réelle. Sous le capitalisme, la magie de l’argent peut réaliser toutes les prouesses. Le Président Macron le sait bien, lui qui a dépensé sans compter pour suivre la voie l’emmenant à l’Élysée.

Chacun peut mesurer l’éloquence de M. Macron, capable du meilleur comme du pire selon son interlocuteur. Il savait avant de la prononcer que l’expression « argent magique » marquerait les esprits. Pourtant l’essentiel réside dans ceci : « il n’y a pas d’argent ». En 24 heures, la cause de Notre-Dame incendiée a récolté un milliard d’euros. En 2008, en plein krach boursier international, Nicolas Sarkozy a dégoté 360 milliards d’euros en un claquement de doigt pour « sauver » les grandes banques. Nous voyons que l’argent peut être trouvé en fonction du but poursuivi. La véritable signification du bon mot du chef de l’État est donc : « il n’y a pas d’argent pour vous ».

Pour les riches amis de M. Macron, pour la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), pour le versement du Crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE) aux multinationales, l’argent coule à flots. Mais pour les services publics, pour la Sécu, pour les centres hospitaliers publics, « il n’y a pas d’argent magique ». Cette phrase résume à elle seule l’idéologie ultra-libérale qui sous-tend l’ensemble de l’action du Président. La politique à l’œuvre fait tant souffrir les classes populaires qu’elle en devient abracadabrantesque.