Détestable

C’est passé presque inaperçu avec le battage médiatique autour du remaniement, réduit à un minable jeu de chaises musicales si l’on excepte l’entrée au gouvernement de Dupond-Moretti, chez qui l’appât du maroquin ministériel l’aura emporté.
Le Président Macron, avec la nomination de ses nouveaux subordonnés, démontre sa volonté de tenir d’une main de fer l’exécutif et d’imposer ses volontés propres, elles-mêmes issues des impératifs fixés par la classe capitaliste.


Ses déclarations présentent donc le chemin qu’il entend tracer pour la dernière phase de son quinquennat. Or, il y a quatre jours, le Président Macron a déclaré devant plusieurs titres de la presse quotidienne régionale :


« Nous devons collectivement rompre avec ce qui est la maladie française : la préférence pour le chômage. Le modèle français classique, c’est d’accepter des plans sociaux massifs, ensuite d’avoir un système très généreux qui les indemnise. Au fond, un modèle qui fait que nous n’avons jamais réglé le problème du chômage de masse. »


De quelle « maladie française » parle exactement Monsieur Macron ? « La préférence pour le chômage ». En substance, le travailleur français préférerait être privé d’emploi plutôt que d’en occuper un. La preuve : il « accepte des plans sociaux massifs ». Et pourquoi ? Pour profiter d’ « un système très généreux qui l’indemnise ».


L’actuel Président, qui fait à nouveau étalage de son incommensurable mépris pour les petites gens, considère ainsi que « nous n’avons jamais réglé le problème du chômage de masse » à cause précisément d’un « système très généreux », trop « généreux ».
Il tenait exactement le même discours au début de son quinquennat, quand il a réformé le Code du Travail par ordonnances en catimini durant l’été 2017. Il avait alors plafonné les indemnités versées au salarié victime d’un licenciement abusif et illégal, après condamnation de l’employeur aux Prud’hommes, à seulement 20 mois de salaire, et ce à condition… d’avoir au minimum vingt-neuf ans d’ancienneté dans l’entreprise !


Mais cela reste « très généreux », trop généreux vis-à-vis de celles et ceux qui ont souvent consacré leur vie à produire pour un employeur qui les chasse de leur emploi, qui les exclue de toute forme de sécurité matérielle. A la violence de s’être fait bannir du lieu où il créait les richesses et passait le plus clair de son temps quotidien, s’ajoute pour le travailleur la violence de dirigeants politiques qui lui lancent à la gueule qu’il coûte encore trop cher une fois licencié, et qu’il ne faut surtout « pas tout attendre de l’État » – pour reprendre les mots de Jean Castex pour sa première interview, sur TF1 vendredi soir, en tant que Premier ministre.


C’est pourquoi le chef de l’État et son gouvernement entendent bien mener à terme la réforme de l’Assurance-chômage, qui va drastiquement baisser les allocations d’aide au retour à l’emploi versées par Pôle Emploi aux chômeurs indemnisés.


C’est bien connu, les travailleurs sans emploi se la coulent douce à longueur de journées, en profitant grassement des minima sociaux qui coûtent à la collectivité « un pognon de dingue », si bien que la collectivité ferait mieux de couper les vannes de cet argent ; quitte à développer la grande misère, développons-la gaiement.


L’homme petit qui fait office de Président de la République devrait avoir honte de tenir ces propos. Il ne fait que révéler sa détestation des personnes démunies tout comme de l’ensemble de la classe exploitée. Il ne fait que se révéler toujours plus détestable de jour en jour, et cela, il faut l’admettre, relève d’une performance inouïe.

Pandémie

Alors que des nouvelles dignes du bandeau d’informations du jeu Plague, Inc passent en boucle dans les médias, nul n’ignore la progression des cas de coronavirus sous sa forme Covid-19. L’épidémie se transforme à la fois en aubaine pour le gouvernement, qui entend interdire les rassemblements de son choix – y compris les manifestations populaires contre sa politique, décision prise par la préfecture du Morbihan ces dernières heures – et tout autant en puissant révélateur de la crise engendrée par les politiques bourgeoises des dernières décennies, franchissant un nouveau seuil avec M. Macron.

Aux quatre coins de la planète, sous leurs avatars libéraux ou nationalistes, les gouvernements ultra-capitalistes ont démantelé les protections sociales. Lesquelles sécurisaient les travailleurs, la grande classe de ceux qui n’ont que la vente de leur force de travail pour subsister, contre les risques, notamment pour leur santé. En France, trois éléments de l’action de l’actuel exécutif, trois attaques contre la Sécurité sociale, les services publics et les droits du travail, aggravent lourdement l’impréparation face à l’épidémie de coronavirus, qui a pour l’instant provoqué moins de décès dans le monde que la grippe saisonnière dans l’hexagone cet hiver mais qui pourrait venir à s’intensifier.

Tout d’abord les hôpitaux publics connaissent une grave crise de sous-financement, sous-effectif et sous-équipement. La pénurie de moyens combinée à une gestion importée du secteur lucratif créent les conditions d’une piètre capacité à faire face aux besoins en soins, en lits et en matériel pour prévenir ou contenir la contagion d’un virus potentiellement mortel chez les populations fragiles, les personnes très âgées ou présentant d’autres pathologies. Il faudrait plusieurs milliards d’euros pour sauver l’hôpital public, affecté dans ses dotations budgétaires par les milliards d’euros d’exonérations de cotisations offertes sur un plateau doré par les gouvernements successifs au grand patronat depuis trente ans. Face à la grève historique des urgentistes puis de l’ensemble des personnels hospitaliers, contraints d’assurer les soins malgré tout, l’État reste parfaitement sourd.

Un autre aspect de la politique mortifère de ce gouvernement, dans la droite ligne des précédents, concerne les droits du travail. La suppression des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au profit d’un Comité social et économique beaucoup moins en pointe sur la prévention et la protection des salariés, participe largement à la dégradation des capacités à préserver les travailleurs des risques qu’ils encourent, dans les usines, sur les chantiers, mais également dans les commerces, les open-spaces ou les centres de logistiques, lorsqu’ils sont peu ou pas équipés.

Enfin, les populations les plus fragiles, c’est-à-dire les plus démunis n’ayant pas les moyens de se payer une mutuelle et de plus en plus nombreux à renoncer à se soigner pour raisons financières, sont attaqués comme jamais par M. Macron, ses ministres et sa majorité parlementaire. La décision d’amputer de cinq euros par mois l’APL de toutes et tous frappe durement le porte-monnaie de ceux qui font leurs courses calculatrice en main dès le début du mois ; et une nouvelle baisse est programmée le 5 mai. Pire encore, la réforme de l’Assurance chômage, prise en catimini l’été dernier par ordonnances de l’exécutif, sans aucun débat parlementaire ni concertation avec les organisations syndicales, a causé un effondrement du montant de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) pour une quantité considérable de privés d’emploi. Quant à l’Aide médicale d’État (AME), destinée aux plus précaires, elle vient d’être « rabotée » – c’est le terme consacré par les médias – de quinze millions d’euros pour l’année 2020 : un sens de la synchronisation qui force le respect.

Tout pour les riches et rien pour « les gens qui ne sont rien », selon le bon mot du Président Macron, voilà qui pourrait résumer la politique à l’œuvre depuis bientôt trois ans par ce « nouveau monde » ainsi que cette « société civile » bourgeoise. Et cela risque d’être dramatique en cas de crise sanitaire de grande ampleur. Car si le coronavirus ne vérifie pas l’épaisseur du portefeuille avant de contaminer une personne, pas plus qu’il ne demande si les papiers sont en règle, il est évident que les plus pauvres, abîmés par une vie d’exploitation, de pollution et de consommation de basse qualité, sont d’ores et déjà les plus nombreux à succomber aux complications d’une maladie respiratoire. Les plus riches se préservent, bien au chaud, dans leurs domaines et hôtels particuliers, leur personnel effectuant les basses besognes. Pendant que le coronavirus tourne en boucle à la télévision et sur les réseaux sociaux, le prix des masques filtrants vendus au plus offrant bat des records, heure après heure.

Statistique

Les chiffres apparaissent comme une vérité implacable, mais ils peuvent être aisément manipulés. Les gouvernements en place l’ont compris, et ont à leur service une arme influente : l’Insee. L’institut national de la statistique et des études économiques produit, trimestre après trimestre, des études volontairement optimistes, articulant les données dans le seul but de répondre aux conclusions prémâchées par le pouvoir politique. Il en est ainsi des derniers chiffres du chômage, qui aurait reculé de 0,2 point au second trimestre 2019 pour s’établir à 8,5% en France. Un niveau historiquement bas ? La réalité est autrement plus glaciale et, elle aussi, implacable.

Notre confrère Guillaume Duval remet les faits à l’endroit. Derrière les titres triomphants, « ce que nous disent les chiffres publiés [le 14 août] par l’Insee, c’est que la baisse du chômage intervenue depuis six mois, n’est pas le fruit d’une amélioration de la situation de l’emploi – au contraire le taux d’emploi des 15-64 ans a baissé au second trimestre 2019 – mais d’abord celui du recul des taux d’activité : la part de ceux qui ont ou cherchent un emploi a diminué en effet de 0,2 point depuis fin 2018 parmi les 15-64 ans, interrompant ainsi une tendance à la hausse quasi continue depuis 10 ans malgré la crise ». Or, le taux de chômage au sens de l’Insee n’est autre que la différence entre le nombre de personnes ayant un emploi et le nombre de personnes dites actives.

« Ce recul généralisé des taux d’activité permet certes pour l’instant à la baisse du chômage de se poursuivre malgré la dégradation de l’emploi », poursuit l’éditorialiste d’Alternatives Économiques. « Mais il s’agit en réalité d’une mauvaise nouvelle pour le pays si ce recul devait se prolonger : il est en effet très difficile de ramener à l’emploi des personnes qui auront été durablement éloignées du marché du travail. On fabrique donc ainsi de nombreux exclus, condamnés le plus souvent à une pauvreté durable et au recours à l’assistance. »

Les chiffres de l’Insee ne prennent donc pas en compte le nombre d’inscrits à Pôle Emploi. Ces derniers sont au nombre de 6.218.700 au second trimestre 2019 selon un rapport récemment publié par l’organisme lui-même… sans compter l’outre-mer. Un chiffre en hausse, celui-là, alors que la chasse aux chômeurs s’accentue, avec la multiplication des contrôles, l’embauche massive d’agents dont la seule mission est de traquer l’absence d’ « efforts », un phénomène qui a pour unique objectif de radier de Pôle Emploi un maximum d’inscrits.

Qui peut croire que le chômage baisse vraiment, alors que les fermetures d’entreprises, y compris du secteur tertiaire (commerces, services…) prolifèrent ? Le grand patronat, à la tête des multinationales, organise à l’échelle mondiale le transfert de la production de richesses depuis la France vers les pays où le travail lui « coûte » moins – entendez, où les salaires et avantages sociaux sont plus bas – et cela ne concerne plus seulement l’industrie. Ensuite, un grand nombre de privés d’emploi, découragés, sans indemnités, ont renoncé à la farce des actualisations mensuelles et ne sont plus inscrits à Pôle Emploi ; le nombre réel de chômeurs en France, si l’on recoupe le nombre d’ayant-droits au RSA, le nombre de jeunes de moins de 25 ans déscolarisés et sans emploi, le nombre d’ex-salariés de plus de 50 ans attendant désespérément la retraite, approche dangereusement des 10 millions. C’est un carnage.

La réalité sociale, enfin, va à contre-courants des discours dominants, et en particulier de celui du gouvernement d’Emmanuel Macron, qui explique aux salariés que les chômeurs sont des profiteurs, responsables de leur situation comme de la faiblesse des revenus des travailleurs en emploi, en raison des cotisations sociales qu’ils grappillent. Selon la dernière étude de l’Unedic sur la question, publiée le 7 février 2019 avec les données de fin 2017, le nombre d’allocataires indemnisables était de 3,6 millions de personnes mais le nombre d’allocataires indemnisés par l’Assurance chômage plafonnait à 2,6 millions ; la priorité des privés d’emploi n’est donc pas de toucher tranquillement des allocations, mais de travailler. La même étude nous dit que « les allocataires indemnisés qui n’ont pas travaillé au cours du mois touchent en moyenne 1.020 euros » – soit moins que le seuil de pauvreté. Autrement dit, l’ensemble des indemnités versées aux demandeurs d’emploi coûte à la nation 2,5 fois moins que l’évasion fiscale, évaluée à 80 milliards d’euros chaque année, organisée par la toute petite minorité d’ultra-riches, et contre laquelle le gouvernement français ne fait tout simplement rien. Quant à la situation du chômage de masse, il faut être malhonnête pour l’imputer à ceux qui sont au chômage, plutôt qu’à ces mêmes ultra-riches, à la tête des multinationales, censées employer ou assurer le financement des petits employeurs, et qui orchestrent la désertification économique de la France.

Pour finir, derrière les chiffres, il convient de rappeler que personne ne se satisfait d’être au chômage. Le travail, malgré l’exploitation et l’aliénation salariales, a une fonction sociale : s’accomplir, se sentir utile, sortir de chez soi avec un but concret, produire de la richesse, entretenir et créer des relations… Personne ne se satisfait d’une situation que tous les discours dominants accusent d’inutilité et de fardeau. Pierre Meneton, chercheur à l’institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), a produit une longue étude déterminant le nombre de décès imputable au chômage à 14.000 par an en France. Le chômage d’un homme est une tragédie, le chômage de millions d’hommes et de femmes est une statistique.

Divisions

Passée en catimini en plein été, la réforme de l’assurance chômage est la plus grande attaque contre les privés d’emploi jamais réalisée dans la France contemporaine. Présentée le 18 juin 2019, elle n’est même pas passée devant les parlementaires : le gouvernement l’adopte unilatéralement par décrets, et ses mesures seront effectives dès le 1er novembre prochain. Elle ne résulte même pas d’une quelconque concertation entre les représentants du patronat et les représentants des salariés ; les premiers concernés n’auront pas eu leur mot à dire, et subiront une régression sans précédent.

Sur le site du ministère du Travail, les services de la multi-millionnaire Muriel Pénicaud font sa com’ dans une présentation intitulée : « De nouvelles règles d’indemnisation du chômage qui favorisent le retour à l’emploi ». Nous apprenons que, dès le 1er novembre 2019, ce ne seront plus 4 mois sur les 28 derniers mois qu’il faudra avoir travaillé pour ouvrir ses droits aux indemnités chômage, mais 6 mois sur les 24 derniers. De plus, en cas de retour temporaire à l’emploi, il faudra non plus un mois de travail pour recharger ses droits, mais six mois !

Voilà pour l’ouverture des droits, mais le nouveau calcul des indemnités consiste en une attaque plus grave encore. Aujourd’hui, les indemnités sont calculées sur les seuls jours travaillés ; demain, elles le seront sur les jours travaillés ET les jours non travaillés. L’indemnité sera divisée par deux pour ceux qui étaient embauchés à mi-temps. Le principe est valable au cours d’un mois comme au cours des 24 mois ; si l’on a travaillé 6 mois sur les deux dernières années, notre indemnité en cas de chômage sera divisée par 4 ! Pour ceux qui étaient au SMIC, soit 1.202,92 euros nets par mois – et moins les années précédentes, avant ses revalorisations, inférieures à l’inflation faut-il le rappeler – et qui auront travaillé, en CDD ou intérim, durant six mois pour la période prise en compte, l’indemnité mensuelle passera de 960 euros à… 240 euros. Enfin, les indemnités chômage baisseront à compter du septième mois de chômage, pour ceux qui touchaient en travaillant 4.500 euros bruts mensuels ; seuls 10% des salariés, donc, mais une dégressivité qui risque d’être étendue à tous les indemnisés dans un futur proche.

Bien sûr, il s’élèvera toujours, jusqu’au sein même des salariés, des voix pour justifier ce recul historique. Les chômeurs seraient des « fainéants », en quelque sorte « responsables » de leur situation. Exit les délocalisations, les fermetures de commerces, les suppressions de postes… Mais la réalité reviendra comme un boomerang implacable en pleine face de ces naïfs, si ce n’est pour eux, du moins pour leurs enfants. Les plus jeunes travailleurs enchaînent les CDD courts et les stages non-rémunérés dans les années qui suivent la fin de leurs études, y compris supérieures ; ils seront les premiers touchés par la réforme. Dans un document, l’Unedic – dont les dirigeants sont clairement à la solde des gouvernements en place – estime le nombre d’impactés à 1,2 million de chômeurs ; c’est une estimation bien basse et, en réalité, la population des privés d’emploi concernée par cette régression, dans un contexte de précarisation et de périodes de travail hachées de tous les salariés, ne fera que croître d’années en années.

La vraie cible des décideurs politiques et économiques n’est autre que la Sécurité sociale. L’assurance chômage en est un des piliers, au même titre que la retraite, elle aussi gravement attaquée par l’instauration d’un système par points. C’est le principe même de la Sécu, la socialisation d’une partie des richesses créées par les salariés allant vers les travailleurs malades, retraités ou privés d’emploi, qui est insupportable aux yeux de la grande bourgeoisie industrielle et financière : c’est une part de la richesse nationale qui échappe totalement à sa rapacité. Après les complémentaires-retraites, les complémentaires-santé, pourquoi pas les complémentaires-chômage ?

Macron et son gouvernement sont au service exclusif de cette classe capitaliste, et après les mots du Président sur le « pognon de dingue » des minima sociaux, les actes arrivent – et ils seront ravageurs pour ceux qui vivent de leur travail. « De nouvelles règles qui favorisent le retour à l’emploi » ? Le seul phénomène qui favoriserait vraiment le retour à l’emploi, c’est la création d’emplois. Pourrir la vie des chômeurs ne favorise rien, mais satisfait grandement les milliardaires de notre pays, bien loin de la réalité et bien proches de leurs capitaux, qui comptent sur la division des travailleurs pour baisser leurs revenus à tous. Ils peuvent se féliciter de la baisse de leurs « charges », en fait nos cotisations, qui assuraient jusqu’à présent un minimum de sécurité économique dans nos vies. Notre insécurité, c’est leurs profits.