« Il n’y a pas de raison de traîner. » Bruno Le Maire, le ministre
de l’Économie d’Emmanuel Macron, au charisme aussi grand que ses idées
sont neuves, conduit le démantèlement du secteur public français à
marche forcée. « Notre objectif est de privatiser la Française des Jeux
(FDJ) d’ici la fin du mois de novembre » a-t-il déclaré dimanche 1er
septembre lors d’un entretien avec des journalistes d’Europe 1, Cnews et
Les Échos, médias appartenant respectivement à Arnaud Lagardère,
Vincent Bolloré et Bernard Arnault, qui peuvent se frotter les mains.
A grands renforts de propagande, dans laquelle les éditorialistes
ultra-libéraux se font les auxiliaires du gouvernement, Bruno Le Maire a
insisté sur l’idée que « courant novembre, les particuliers pourront
acheter des titres » de propriété de la FDJ. « Je souhaite que les
Français y participent le plus largement possiblement avec, par exemple,
des actions gratuites en fonction de la durée de détention de ces
titres. » Les Français, les particuliers, tous actionnaires, tous égaux,
fin de l’histoire ?
Évidemment que les propriétaires détiendront
les actions pour une durée longue : la Française des Jeux est une
authentique poule aux œufs d’or ! Elle a rapporté 3,3 milliards d’euros à
la collectivité publique sur la seule année 2017. Elle détient le
monopole intégral de la vente physique de jeux à gratter, paris sportifs
(à l’exception des courses hippiques, gérées par PMU) et loteries, à
travers un réseau de 30.800 détaillants. Chaque année, 25 millions de
joueurs achètent au moins un ticket auprès d’elle. Les milliards qui
allaient jusqu’à présent dans les caisses publiques iront bientôt dans
les coffres privés ; il serait fou de ne pas profiter.
Mais à qui
appartiendra la Française des Jeux ? Aux « Français » ? Aux «
particuliers » ? Bien sûr, les simples citoyens pourront acheter
quelques actions, mais les riches propriétaires capitalistes, qui
règnent déjà sur d’autres marchés, vont acquérir les titres par millions
d’exemplaires. Ce seront eux, les grands gagnants dans cette affaire.
Une fois de plus, la politique du gouvernement, qui ne possède d’autre
pouvoir que de servir la grande bourgeoisie et mentir aux travailleurs,
sert exclusivement la classe dominante.
Tout est une question de
classe. Les ultra-libéraux crieront à l’archaïsme, mais ce sont bien eux
qui dressent les paysans contre les ouvriers, les ouvriers contre les
employés, les employés contre les privés d’emploi, les privés d’emploi
contre les travailleurs immigrés, et ainsi de suite, divisant les
classes opprimées, réduisant leurs chances de s’allier et combattre
leurs véritables oppresseurs. Le chômage de masse, les délocalisations,
l’appauvrissement des services publics, la baisse des subventions aux
associations d’aide aux démunis, la hausse des loyers, l’augmentation
des tarifs bancaires, l’accueil misérable réservé aux femmes et aux
hommes qui voyaient en la France un espoir : tout est orchestré pour ne
servir que les puissances de l’argent. François Hollande, qui est aussi
digne de confiance que Patrick Balkany est intègre, disait : « Le monde
de la finance, il n’a pas de nom, il n’a pas de visage ». Mais bien sûr
que si ! Ils sont plus discrets que les stars de télé-réalité, mais à
visage découvert, et se paient même le luxe d’apparaître chaque année en
tête des classements Forbes et Challenges.
Ce ne seront pas
d’autres individus que messieurs Arnault, Drahi, Bolloré, Pinault,
Bouygues et consorts qui mettront la main sur la Française des Jeux. La
communication du gouvernement selon laquelle les petits porteurs seront
demain les propriétaires de la FDJ n’est que pur mensonge. Non seulement
une poignée de capitalistes, au porte-feuille d’actions bien garni, se
l’accapareront et toucheront année après année des dividendes
phénoménaux ; mais en plus, ils deviendront les véritables maîtres du
numéro 1 français des jeux d’argent, décidant des produits distribués,
de leurs quantités, de leurs prix, des moyens publicitaires mis en œuvre
pour les vendre, etc.
« Le rôle de l’État n’est pas de s’occuper
des jeux de tirage et de grattage » tente d’assurer le ministre de
l’Économie. Si l’on accepte le principe des jeux de tirage et de
grattage, ce qui peut être raisonnablement contesté, tant les jeux
d’argent reflètent la réalité d’un monde où un gagnant bat des millions
de perdants, et où l’on ne peut plus compter que sur un miracle pour
s’extraire de la pauvreté ; alors, faut-il les confier à la puissance
publique ou à l’appétit de la grande bourgeoisie ? Parce que cette
dernière ne voudra qu’une chose, comme toujours : multiplier les
profits. Quitte à être moins regardante sur les enjeux de santé publique
posés par ce business pas comme les autres, c’est une certitude.
La précipitation d’Emmanuel Macron, car c’est bien lui qui se trouve
derrière Bruno Le Maire, en annonçant aujourd’hui que l’affaire sera
bouclée dans deux mois, est une démonstration de sa fébrilité. Le
Parlement avait voté la privatisation de la Française des Jeux en même
temps que celle d’Aéroports de Paris. Dans le second cas, la droite, qui
n’a pas manqué d’être hypocrite, s’est insurgée – tant et si bien
qu’une alliance parlementaire a permis de lancer une procédure de
référendum d’initiative partagée, sur la privatisation d’ADP, avec une
pétition en ligne que nous vous invitons à signer. Mais soyons clairs :
si la société Aéroports de Paris, première frontière de France et qui ne
se résume pas à une galerie commerciale, ne doit pas être confisquée
par des puissances privées, la question de la Française des Jeux est
encore plus importante.
C’est pour éviter que le débat ne
s’installe, que les arguments rationnels permettent de peser le pour et
le contre, que la raison ne l’emporte, et parce qu’il sait que l’automne
sera bouillant, que le gouvernement appuie sur l’accélérateur. Il sait
parfaitement que la privatisation d’une entreprise aussi impliquée dans
le quotidien de millions de Français, et aussi profitable, constitue un
scandale de tout premier ordre. Sa politique est brutale pour
l’écrasante majorité de notre pays, nous l’avons vu avec la suppression
de l’ISF et la hausse de la CSG, nous le verrons avec la réforme de
l’assurance chômage puis celle des retraites ; ce sera moins évident,
mais tout aussi tragique, avec les privatisations à marche forcée qui
anéantiront petit à petit ce qu’il reste de notre patrimoine public. Le
patrimoine de ceux qui n’ont rien.