« Sylvie Goulard démissionne de son poste de ministre, à cause de
cette enquête, l’enquête n’est pas terminée, et là elle pourrait devenir
commissaire européenne. C’est à dire que la vérité à Paris n’est pas la
vérité à Bruxelles ou à Strasbourg, si j’ai bien compris ? »
Jean-Jacques Bourdin, journaliste électron libre, a étrillé la
secrétaire d’État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin,
vendredi 30 août.
L’enquête en question ? Ouverte le 9 juin 2017
par le parquet de Paris, elle porte sur les « abus de confiance » et le «
recel » du délit, en raison de possibles emplois d’assistants, par les
députés européens du MoDem, ne travaillant que pour le parti de François
Bayrou et pas sur les dossiers européens ; ce qui correspondrait à des
emplois fictifs financés par le contribuable européen.
Députée
européenne du MoDem entre 2009 et le 17 mai 2017, jour où elle devient
ministre des Armées pour une durée record de 35 jours, Sylvie Goulard
est directement concernée par cette affaire. Elle avait embauché durant
son mandat Stéphane Térou, collaborateur en poste à Paris, au siège du
MoDem. Loin de Strasbourg et Bruxelles, et loin de la circonscription de
l’Ouest où Goulard a été élue. L’enquête est toujours en cours.
Eurobéate, proche du lobby des banques, rémunérée par un think tank
étasunien… Pour mieux comprendre celle qu’Emmanuel Macron a présentée
mercredi 28 août pour occuper le poste de commissaire français au sein
de la Commission européenne, dressons son portrait.
Sylvie
Goulard a suivi une scolarité impeccable : bachelière à 15 ans,
titulaire d’une licence en droit à moins de 20 ans, elle est diplômée de
l’institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) puis de l’École
Nationale d’Administration (ENA) en 1989. La même année, elle entre au
ministère des Affaires étrangères à la direction des affaires
juridiques, d’où elle assiste, euphorique, à l’annexion de l’Allemagne
de l’Est (RDA) par l’Allemagne de l’Ouest (RFA).
Elle devient en
2001 conseillère politique de Romano Prodi, président de la Commission
européenne, et est notamment chargée du suivi de la Convention sur
l’avenir de l’Europe, présidée par Valéry Giscard d’Estaing et à
l’origine du projet de traité constitutionnel. Silencieuse sur le « Non »
au référendum français du 29 mai 2005, elle poursuit discrètement sa
carrière avant de devenir, en 2009, députée européenne sur les listes du
Mouvement Démocrate.
Fédéraliste acharnée, europhile jusqu’au
bout des ongles et fascinée par l’Allemagne capitaliste, Goulard est à
l’origine d’ouvrages aux titres aussi niais que « Il faut cultiver notre
jardin européen » (Seuil, juin 2008), « Europe : amour ou chambre à
part » (Flammarion, 2013) ou encore « De la démocratie en Europe »
(Flammarion, 2012), livre co-signé avec Mario Monti. Ex-banquier de
Goldman Sachs à la tête, entre 2011 et 2013, d’un gouvernement «
technique » en Italie, ce dernier a fait adopter de nombreuses mesures
ultra-libérales sur le marché du travail et les secteurs réglementés.
Cette collaboration en dit long sur l’idée, bien peu haute, que Sylvie
Goulard se fait de la démocratie, avec sa volonté incessante de
renforcer l’UE, structure supranationale où les principales décisions
sont prises par des personnes non-élues. Elle s’oppose farouchement à
l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, « évidemment pas dans le
but de préserver une Europe blanche et catholique » (sic).
D’octobre 2013 à janvier 2016, alors qu’elle est députée européenne pour
la France, Sylvie Goulard est rémunérée par l’institut Berggruen, think
tank californien fondé par le fils du richissime marchand d’art Heinz
Berggruen, à hauteur de plus de 10.000 euros par mois, comme l’a révélé
le Canard Enchaîné du 21 juin 2017. Elle jure qu’il s’agit « d’un
non-sujet », mais la vision étasunienne de l’Europe sied à Goulard, elle
qui a toujours milité pour l’alignement des fiscalités, des règles
économiques et des droits des travailleurs sur les moins protecteurs,
sous couvert de fédéralisme, en fait dans l’intérêt de la bourgeoisie
d’affaires.
Membre titulaire de la commission parlementaire en
charge des affaires économiques et monétaires (ECON), à Strasbourg et
Bruxelles, elle fut rapporteure de nombreux textes législatifs
concernant la supervision des banques et des assurances ou de l’Union
bancaire. Dans un billet de blog sur Alternatives Économiques du 17
janvier 2018, la maîtresse de conférences à l’université Paris I –
Panthéon Sorbonne, Jézabel Couppey-Soubeyran, accuse : « Les mauvaises
langues disent d’elle qu’il lui arrivait de recopier textuellement les
amendements proposés par la Fédération bancaire européenne et la
Fédération bancaire française », le lobby des banques privées nationales
et multinationales.
Fin 2016, elle apporte son soutien au
candidat Emmanuel Macron, plusieurs mois avant François Bayrou. Goulard
organise la rencontre « chaleureuse » entre le nouveau Président de la
République et la Chancelière allemande Angela Merkel, le lundi 15 mai
2017, lendemain de sa cérémonie d’investiture à l’Élysée. Une
précipitation qui n’est pas sans rappeler celle de François Hollande.
Récompensée pour ses bons et loyaux services, Macron la nomme ministre
des Armées le 17 mai, poste qu’elle n’occupera que jusqu’au 21 juin
2017, jour de parution du Canard Enchaîné qui la torpille.
Qu’à
cela ne tienne : dès le 17 janvier 2018, le chef de l’État la nomme
sous-gouverneure de la Banque de France. Une « stupéfiante promotion »
selon Laurent Mauduit dans un article de Mediapart publié le même jour ;
« une cascade d’objections, de nature judiciaire, politique ou éthique,
aurait dû disqualifier l’éphémère ministre des Armées pour ce poste à
la tête d’une institution réputée indépendante ». Cette nomination pose
d’autant plus question que sa proximité avec le lobby bancaire, et sa
défense des établissements privés, a été constatée par plusieurs témoins
qui l’ont vu travailler au Parlement européen.
Nous arrivons
enfin au mercredi 28 août 2019, jour où Emmanuel Macron lui offre une
promotion pour la troisième fois en deux ans. Le chef de l’État la
propose au poste de commissaire réservé à la France au sein du nouvel
exécutif européen, qui sera présidé par l’Allemande Ursula Von der Leyen
et investi le 1er novembre prochain. La présidente de la Commission
doit approuver le nom de Sylvie Goulard, avant que celle-ci ne passe une
audition devant le Parlement européen.
« Pour la France et
l’étranger, c’est désastreux » a réagi l’association anti-corruption
Anticor. « Il n’y a vraiment qu’en France qu’on voit cela. » L’enquête
pour « abus de confiance » et « recel » se poursuit à Paris, et il est
possible que Sylvie Goulard, directement impliquée dans l’affaire, soit
prochainement mise en examen. En attendant, la Française lorgne le
porte-feuille européen du Marché intérieur. Son entourage assure qu’elle
est « droite dans ses bottes ».